Vegyn revisite Moon Safari
Air / Vegyn - Blue Moon Safari / Parlophone / 2025
@Joshua Gordon
Vegyn s’empare du grand classique downtempo de la French Touch pour en livrer une version trip-hop tout à fait géniale.
J’aimerais commencer cette chro’ (chronique pour les journalistes) par une réflexion que je me suis faite en écoutant cet album “remix”. En fait, on utilise tout le temps le terme remix, pour tout et n’importe quoi. D’ailleurs, je pense que la plupart des gens, lorsqu’ils entendent remix, pensent direct à un truc EDM à la David Guetta avec un drop et le refrain de la chanson noyé dans des basses atroces. Et ils auraient raison ! C’est, en soi, un remix aussi. Mais ce serait diminuer le travail des vrais remixeurs que de mettre ces deux pratiques sur le même plan (les remixeur’s ça vous dirait comme téléréalité au fait ? Je garde l’idée au cas où).
Enfin voilà, petit prélude nécessaire, car le boulot de reworking que propose Vegyn sur sa version de Moon Safari est assez dingue, alors on peut appeler ça un remix oui, mais je préfère dire qu’il a revisité leur album.
On va tout de même se faire une petite contextualisation avant. Moon Safari, c’est LE big album de Air en 1998, un des premiers duos de la French Touch, qui avaient amené un son purement downtempo et très Hi-Fi sur la scène électronique française. Évidemment à l’époque déjà, on était familier du trip-hop et de la musique downtempo en général, genre des pionniers comme Massive Attack et Portishead exerçaient depuis un petit moment, et d’autres groupes comme Everything But The Girl en étaient à plus de 10 ans de carrière.
Cela étant dit, l’album des français a eu un gros succès et a pu obtenir avec le temps un statut “culte” bien mérité. Au-delà de ses tubes Sexy Boy, All I need ou encore Kelly Watch the stars, c’est un album super raffiné, mood-setter imbattable et d’une finesse Hi-Fi rarement égalée. Alors évidemment, lorsque JB Dunckel et Nicolas Godin, les deux membre du groupe, entre en contact avec Josephj Thornalley (Vegyn) pour lui proposer de remixer All I need, c’est un grand oui qu’ils obtiennent.
Si vous connaissez pas encore Vegyn, je suis désolé de vous l’apprendre, mais vous êtes en retard, ou alors vous avez loupé des détails. Le mec est littéralement sur tous les projets musicaux “cools” et indés aux productions électroniques et trip-hop, depuis au moins 8 ans. L’histoire commence (askip) lorsqu’il donne une clé USB de ses sons à James Blake en boîte, ce qui va l’amener par la suite à rencontrer et travailler avec des mecs comme Frank Ocean ou encore Dean Blunt. Plus récemment (j’en avais parlé ici) il a produit pour John Glacier, et a sorti son excellent premier album en 2024 (il avait déjà de nombreuses mixtapes et un side-project Headache très cool aussi). Il devait aussi faire une date parisienne à la Gaîté Lyrique, qu’il n’a malheureusement pas (encore) honorée, on espère le voir bientôt. J’ose même pas imaginer le nombre de gens de la fashion industry à son concert par contre, mais c’est pas le débat.
JB Dunckel et Nicolas Godin sont très familiers des remix, en particulier des albums remix. Une de leurs références est celui de Mad Professor qui avait entièrement remixé l’album Protection de Massive Attack en 1995, en version Dub. Des bons albums remix on en connaît, on a par exemple celui de The King Of Limbs de Radiohead ou le Daft Club, qui compilent des remixes de différents artistes, mais ça peut être la loterie et les enchaînements sont pas toujours top. L’album dont nous discutons aujourd’hui partage d’ailleurs sa date de sortie avec un étonnant albu remix de Moi Lolita d’Alizée, une sortie vraiment pas nécessaire du tout si vous voulez mon avis (15 remixes d’affilé de Moi Lolita).
Ce que voulaient Air, eux, c’était qu’un seul artiste revisite entièrement Moon Safari. Ils se sont donc rapidement tournés vers Vegyn, dont ils appréciaient déjà grandement le travail.
Joe Thornalley se voit donc confier tous les stems de l’album, et une liberté totale pour le retravailler à sa sauce. Pour mettre en perspective, imaginez-vous qu’on vous donne accès à tous les rushes de votre film préféré, et que vous pouvez tout regarder, tester et monter dans l’ordre que vous voulez (bon j’avoue ça marche moins bien avec un film de remonter totalement, mais vous captez l’idée). Le gars est comme un gosse, il entend tous les éléments isolés qui ont fait un de ses albums préférés : les synthés Rhodes, Wurlitzer et Korg qu’il peut rassembler à sa guise. Et c’est assez fou ce qu’il a réussi à en faire.
La qualité première de Moon Safari selon moi, et globalement selon tout le monde, c’est son atmosphère chic-romantique et planante. L’album met dans une ambiance planante et douce à laquelle il est difficile de résister, l’électronique y est légère et le tout sonne très analogique (synthé oblige). Les productions sont parfois sublimées par des voix féminines comme celle de Beth Hirsch sur All I Need et c’est jamais très percussif, c’est lounge. Les thématiques sont elles aussi très romantiques et planantes, bref c’est un album super cosy quoi je vous apprend rien. C’est d’ailleurs pourquoi j’ai trouvé étrange leur prestation à l’aéroport CDG en 2024, où Air avaient partagé l’affiche avec Étienne de Crécy et Phoenix pour une soirée French Touch sur le toit du Terminal 1. Dans l’idée c’est dingue je vous l’accorde, voir Air jouer Moon Safari au coucher de soleil avec les avions qui décollent derrière c’est un délire, mais j’ai du mal à me décrocher de l’image de quelqu’un qui écoute cet album dans un intérieur blanc avec une belle bibliothèque et un siège Eames, ça reste mon avis (puis c’était quand même une super expérience).
Bref, ce que fait justement Vegyn sur sa version revisitée, c’est qu’il lui donne un peu plus de peps, la rend aussi un peu plus sombre. Je peux vous le dire car me suis fait une écoute back-to-back de l’original et de la version remix pour voir clairement la différence (et oui, je suis un scientifique avant tout). Déjà niveau percussion, chaque track ou presque est passée à la sauce trip-hop et sample de batterie comme il sait si bien les utiliser avec sa musique à lui. Par exemple, il donne à Sexy Boy un aspect plus triste que l’original (car les paroles sont en réalité pas si sexy que ça). La première piste New Star in The Sky est un hommage à Air avec des clins d’oeil à d’autres titres de leur discographie comme Alone in Kyoto ou encore Run et il a même fait une fin alternative à You Make It Easy. En gros, le mec se fait plaisir, il suit pas nécessairement la chronologie des titres et ré-arrange à sa guise un peu tout partout, et ça marche de ouf !
On a une version totalement nouvelle de l’album, qui en garde l’essence même évidemment, mais lui donne un tout autre ton, un ton plus affirmé, plus percussif et parfois même dansant. Sa version de Talisman par exemple est un pur banger, de même que celle de Kelly Watch the Stars, qui marche carrément mieux sur moi que l’original (et oui.). C’est trip-hop et c’est chanmé.
De ses propres mots, Vegyn décrit l’écoute de sa version de l’album “comme un rêve hallucinatoire, comme se rappeler de Moon Safari après un traumatisme crânien”, avec notamment l’imagerie de la lune bleu, occurence astronomique d’une 13ème pleine lune alors qu’une année n’en compte normalement que 12 (#mystique) . Ce qui est certain, c’est que c’est vraiment super. On y retrouve autant de la signature Air que de celle de Vegyn, c’est que ça doit donc être un super boulot, objectivement.
Alors si vous êtes fan de Air, foncez, si vous êtes fan de Vegyn également, et puis peu importe écoutez-vous cet album remix, et profitez-en pour vous refaire l’original au passage, il déçoit jamais.
Blue Moon Safari est disponible sur toutes les plateformes