Comme une odeur de violence
SHOW ME THE BODY - Trouble The Water / Loma Vista Recordings / 2022
Je crois que j’ai enfin trouvé le style de musique punk que j’aime. Les Clash, Sex Pistols, Ramones, etc, c’est pas trop mon délire, je trouve pas ça assez violent à mon goût. Quitte à être un punkos, autant y aller à fond. Et pour ça, je crois que Show Me The Body fait assez bien le boulot. Encore une fois, je connaissais pas ce groupe avant d’écouter l’album, et maintenant je suis fan d’eux, ça devient assez récurrent.
Mais le trio New-Yorkais m’a pas attendu avant de se mettre un bon bout de carrière dans les bottes (bottes #punk). Julian Pratt et Harlan Steed se rencontrent en classe de troisième et commencent à bien kiffer la scène punk hardcore de NY, normal à cet âge vous me direz. En compagnie du cousin de Harlan qui joue de la batterie, ils créent Show Me The Body au début des années 2010 et jouent des concerts gratos sous des ponts et dans des caves, dans un esprit bien degueu bien méchant.
En 2014, leur chemin croise celui de membres de Ratking, un groupe de hip-hop/punk porté par Wiki. En parlant de Wiki, je connaissais pas ce gars mais depuis 1 mois je me rend compte qu’il est pote avec tous mes artistes préférés et que c’était lui la voix de Ratking, dont je kiffe le son Canal. Le gars a tourné avec Death Grips, Run The Jewels, Earl Sweatshirt, bref il était sous mes yeux et je m’en rend compte que maintenant. Vous pouvez écouter son dernier album sous le nom de Wikset, petit big up au single Mista qui est un gros banger. Bref, ils tournent avec Ratking et se font signer chez Loma Vista Recordings et créent le collectif New-Yorkais CORPUS, la carrière est bien lancée.
Leur truc à eux, comme la plupart des groupes hardcore, c’est la scène : des shows dans des endroits infâmes où ça se fout sur la gueule et ça picole comme des connards. Donc la période du Covid a fait un peu mal à la dynamique du groupe, qui a dû se faire un petit studio pour y enregistrer leur EP Survive, très axé sur l’isolation, en la présence d’un nouveau batteur (le troisième depuis leurs débuts).
Et c’est donc en cette fin d’année qu’ils reviennent avec leur troisième album Trouble The Water, un jeu de mot plutôt sympa qui résume bien l’ambiance : on va salir des trucs.
Le groupe a une compo assez minimaliste : batterie, basse électrique et BANJO électrique, je savais même pas que ça existait. Vous allez vite capter en écoutant, mais le banjo donne un son beaucoup plus abrasif et métallique que la guitare, et donc ajoute un côté bien noisy à l’ensemble. Pareil pour la basse, dont le son est largement trituré dans tous les sens par des pédales et des modifs digitales. On se retrouve donc avec des couches sonores toutes plus agressives les unes que les autres.
Dès le début on comprend que ça va envoyer du lourd, une intro au banjo acoustique avec un monologue et la tension qui monte jusqu’à exploser ensuite avec tout le groupe et le banjo en mode électrique. Le groupe se cantonne pas à un seul style, chaque son a une approche différente de la violence.
Que ce soit du métal pur, des rythmes plus punks (avec un tempo style gallop de cheval), un beat electro sur Demeanor, on a à peine le temps de récupérer entre chaque son que ça repart pour une autre aggression auditive.
On a tout de même droit à quelques passages plus posés, du moins en apparence. Out of Place arrive en plein milieu de l’album et propose un temps de récupération avec sa boucle de synthé très simple et un nouveau monologue du frontman, mais récupération est un grand mot, c’est surtout un témoignage d’une grande frustation et d’une rage intérieure qui attend à peine la fin du son pour enchaîner sur le chaos sonore de la piste suivante. Je retrouve une grosse vibe Death Grips sur certains sons comme We Came To Play qui me fait penser à Bottomless Pit ou encore Buck 50 qui rejoins à l’ambiance de Jenny Death en proposant un mur de son derrière lequel se cache une mélodie enfouie qui ajoute une plus sensible.
Et la voix de Julian Pratt est la traduction directe de cette musique : grognements, hurlements et moments de folie limite schizo (il passe du grognement au rire du joker en un clin d’oeil) apportent à ses paroles pleine de rage une dimension encore plus violente, sans avoir une voix très grave, elle est d’ailleurs plus du côté de la voix d’ado que du metalleux goth.
Car oui, vous l’aurez compris, la violence fait partie intégrante de leur musique, le terme "violence" est d’ailleurs utilisé pas mal de fois durant l’album "I don’t regret violence". La racine de Show Me The Body, c’est la rue, c’est le New-York authentique. Depuis leurs débuts, ils s’attaquent à la gentrification, aux violences policières et au système en général, des thèmes chers à la scène hardcore punk locale, le lien très fort à la rue, comme s’ils y dormaient (peut être qu’ils y dorment vraiment). On a aussi beaucoup de référence à la famille, aux amis pour lesquels on auraient pas peur de se battre, une animosité constante fruit d’une isolation et d’un mode de vie "survival" qui pousse à bout, les Etats-Unis comme une grosse farce qui n’en finit plus.
Et c’est bien l’atmosphère générale que dégage l’album, au-delà de la violence apparente. C’est une frustration et une rage intérieure grandissante qui arrivent à ébullition, créant une explosion dont nous sommes les témoins auditifs, que demander de plus ?
Si vous voulez 2-3 albums qui rejoignent un peu ce mood, je vous conseille Bottomless Pit et la deuxième partie de The Powers That B de Death Grips, aux sonorités bien punk et noise. Et puis pour rester dans le punk hardcore et cet ambiance de la "ville", You won’t Get What You Want de Daughters. Je vous mets Daughters parce que l’album est vraiment ouf et qu’il faut dissocier l’artiste de son oeuvre (#fandecéline), mais faut savoir que le frontman est un gros enculé qui a tabassé sa femme, qui s’avère être l’excellente musicienne Christin Hayter aka Lingua Ignota, qui nous avait sorti l’album le plus terrifiant de 2021 Sinner Get Ready. Vous avez de quoi bien vous niquer les oreilles là.
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