Freddie en major, ça reste Freddie.

FREDDIE GIBBS - $oul $old $eparately / Universal / 2022

Nick Walker @Complex

S’il a fallu attendre un bon moment avant que Gibbs nous ponde son album, le résultat en est parfaitement satisfaisant. Parce que le piège avec du long teasing comme ça, c’est d’amener trop de hype pour un résultat pas à la hauteur, mais ici, pas de problème.

On arrive à un tournant important de la carrière de Freddie, son premier album en major, chez Warner. Et qui dit major, dit commercial, et je dois avouer que même si on sent une certaine vibe "Blockbuster" sur cet album, Gibbs reste fidèle à son art et à sa plume.

Et c’est amplement mérité pour un mec qui vient d’avoir 40 piges et qui a bien grind comme un ouf avant ce step. Le mec vient de Gary dans l’indiana (comme Michael Jackson), une bonne ville que la désindustrialisation a rendu complètement infâme et invivable, avec beaucoup de violence (et Michael Jackson je l’ai déjà dit). Donc le mec vend du gros crack et de la coke avant et même pendant qu’il commence le rap. Puis c’est vraiment en 2014 qu’il commence à faire du bruit dans le monde de l’underground, en sortant Piñata, album produit entièrement par la légende Madlib. En 2019, il récidive avec Bandana (d’autres albums sont sortis entre temps hein) et puis la culmination en 2020 en duo avec Alchemist sur l’excellent Alfredo et une nomination aux Grammys (c’est Nas qui remporte le Grammy et Freddie en backstage sort la meilleure phase possible : ”I might’ve lost today … But I’m undefeated in Court”).

C’est donc une progression tout à fait logique de signer en major, et de pouvoir profiter de plus gros budgets, de plus de feats possibles et d’une meilleure promo. On retrouve aussi des gros noms à la prod, entre Alchemist, Madlib, Kaytranada, et même DJ Paul des Three Six Mafia.

On est aussi sur un album conceptuel : Freddie est enfermé dans sa suite d’hôtel (le triple S hotel) et refuse de répondre aux appels pour finir son album tranquille, et profiter de l’ambiance luxueuse et du room service. On a donc tout un jeu de transitions en mode musique lounge, la meuf de la réception et des potes qui lui laissent des messages sur son tel (notamment Kevin Durant, voilà).

L’intro est triomphale : grosses trompettes, thème de l’ascension réussie contre toute attente (They said it couldn’t be done), Freddie est bien de retour, au sommet de sa fame. Puis les prods s’enchaînent avec des beatmakers différents sur chaque son, entre superstars et mecs moins connus, mais dans l’ensemble tous cool. Des highlights comme Kaytranada sur Zipper Bagz et sa bassline signature ou encore la prod super groovy et minimaliste d’Anderson Paak sur Feel No Pain.

Au niveau des featurings, c’est un peu moins marquant, même si on a des gros noms. Les apparitions d’Offset et de Rick Ross sont carrément anecdotiques, et c’est pas juste parce que Freddie les surclasse. Mais on a d’autres frérots qui viennent rajouter du lourd : DJ Paul qui pose sur une prod bien Memphis à l’ancienne avec PYS et Scarface sur le Closer Decoded.

Mais si je dois en retenir un, ce serait celui de Pusha, qui officialise la réunion des deux rappeurs spécialistes de la cocaïne. C’est pas tous les jours qu’on a la reconnaissance de Pusha sur son album : en parlant des autres rappeurs, il dit "I don’t Believe in none of them … except Gibbs", donc c’est pas rien.

Freddie sort aussi de sa comfort zone en faisant un son avec James Blake, qui devient un peu un incontournable dans le monde du rap ces derniers temps, mais c’est une vibe assez différente de ce que propose Gibbs généralement, et au final ça match super bien.

Bien sûr, si vous connaissez l’homme, vous savez que c’est un des, si ce n’est LE rappeur le plus drôle du game. En fait, le mec a tellement confiance en lui et bon humour qu’il dit que de la merde, toujours avec un big smile. Le mec est ban d’instagram à chaque nouveau compte, partage des trucs de baisé sur Twitter et dit des folies en interviews (si vous aimez les podcasts ricains, son apparition chez Joe Rogan c’est sûrement un des meilleurs épisodes ever, le mec parle de ses baby mamas, de crack et il avoue même des trucs ultra énervé, genre comment il a tiré sur un crackhead 9 fois et le mec continuait de courir). Joe Rogan qui fait d’ailleurs une apparition sur l’album, donc très improbable, où il annonce à Gibbs qu’il arrive à Vegas avec plein de drogue et de champis pour faire la fête; On a aussi plusieurs passages et refrains chantés par Gibbs, où il fait un pseudo RNB ultra forcé et presque ironique parfois, le mec est juste trop malicieux et incisif, il fait plein de petites blagues d’enculé, enfin bref trop drôle quoi.

Et puis il a pas sacrifié sa plume au profit du commercial, ça c’est sûr. Si on a droit à des sons purement bling bling comme Too Much (très bon d’ailleurs), Freddie distille un peu partout des phases assez marquantes et personnelles. C’est pas toujours évident à suivre, étant donné que le mec rappe à 300 BPM, mais il suffit de la bonne phrase pour faire un impact.

Le son Grandma’s Stove est sûrement le plus personnel de l’album, et celui sur lequel Gibbs se livre le plus. Il nous livre l’amour qu’il a pour ses 3 enfants, bien que tout le monde le considère comme un gros connard qui met des meufs enceinte et se casse après (alors oui il les baise, mais il s’occupe des gosses, enfin il baise les meufs hein pas ses gosses).

« Rap deadbeat daddy, that’s how thеy try to paint me
And that’s a shame ‘cause those that know me know I love my babies »

Et puis il fait part d’une certaine honnêteté, il avoue regretter certaines histoires, notamment son embrouille avec Jeezy, pour laquelle il s’excuse. Car oui, Gibbs c’est le roi des beef. Gunna, Akademics et aujourd’hui Benny The Butcher, il a un don pour casser les couilles et s’embrouiller avec tout le monde, sauf qu’il commence à avoir chaud au cul, et il s’en inquiète un peu. Récemment, il s’est fait tombé dessus par 20 mecs à Buffalo (ville de Benny) et il a quand même joué son concert le soir même dans la ville, avec la gueule défoncée, plutôt stylé je trouve.

Bref, le mec est pas con, il a une forte personnalité, certes, mais il connaît les limites, le danger. Et c’est ça qui est remarquable chez lui, c’est que peu importe les conneries qu’il disent ou qu’il fasse, il passe jamais pour un con (du moins pas pour moi), il est toujours super authentique et personne nie son appartenance à la street. Et c’est pas évident de concilier une attitude de mec cool et drôle puis d’aller rapper sur la drogue et le crime derrière, mais lui y arrive.

En tout cas, il prouve une fois de plus qu’il est un des rappeurs les plus talentueux actuels, il a une vraie vision artistique globale, de la musique à la com’, et a su rester authentique même en changeant de régime par le passage en major. Toujours pas un vendu, et ça, ça vaut un bel applaudissement.

Ecoutez $oul $old $eparately sur toutes les plateformes : Spotify, Apple Music, Deezer, Amazon Music, Youtube Music, Qobuz.

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