Épopée Bowie #3 : The Man Who Sold The World, quand Bowie devient Bowie.

DAVID BOWIE - The Man Who Sold The World / Mercury / 1970

On s’était laissé sur Space Oddity et son héritage en demie-teinte, place maintenant à un album charnière, beaucoup plus dur, sombre, que beaucoup voient comme le premier “vrai” Bowie : The Man Who Sold The World.


Ce sont encore les balbutiements de la carrière de rockstar ultime de David Bowie lorsqu’il enregistre son troisième album, et l’heure n’est pas vraiment à la confiance en soi et au succès. Le projet solo fait peur, rappelez-vous, le mec vend quasi pas de disques, les critiques sont mitigées et le label semble un peu s’en battre la race de lui, en faisant le strict minimum niveau promotionnel. C’est un peu flippant, alors David se décide à monter un groupe (encore), on est toujours plus fort à plusieurs, l’union fait la force, tous pour un, etc. Avec Tony Visconti son ingénieur et John Cambridge à la batterie, il monte le groupe “Hype” et lors d’un concert il rencontre le guitariste Mick Ronson avec qui ça clique tout de suite, qui deviendra membre des célèbres Spiders From Mars, mais chaque chose en son temps. Alors ils font quelques concerts un peu sympa, habillés en super héros et tout, c’est marrant mais ça dure pas très longtemps, Bowie a très envie de se recentrer sur sa carrière studio. Le petit groupe s’installe donc à Haddon Hall, un ancien manoir à l’Anglaise dans la banlieue londonnienne, ambiance dracula, dans laquelle ils montent un petit studio pour enregistrer des maquettes. 

Et là, on a une zone de flou. Comment dire. En gros, les témoignages varient mais la plupart disent clairement que Bowie s’en battait un peu les couilles des sessions d’enregistrement et de production de l’album, et que ce sont Mick Ronson et Tony Visconti qui on tout composé pour lui, pendant qu’il galochait sa meuf sur le canap. Car oui, fait important, il est en plein dans sa nouvelle relation avec Angie, qui va devenir sa première femme et donnera naissance à leur fils Duncan Bowie (je l’apprend en faisant mes recherches, son fils est réalisateur et a notamment réalisé le film Moon, pour lequel il a gagné pas mal de prix, mais aussi le film Warcraft, qui est un film Warcraft malheureusement …). C’est un peu un délire de lycéen en gros, comme si t’es avec ta nouvelle meuf et que t’es insupportable parce que tu fais que traîner avec elle et faire le gros canard, alors tes potes ils ont le seum parce que t’es plus assez concentré sur les activités que vous aviez ensemble avant. C’est un peu ça avec Bowie et Angie, qui sont en train de niquer sur le canap pendant que les autres font des solos de guitares à côté. Apparemment, le mec donnait juste quelques indications et validait ou non les “prods” qu’on lui proposait, avant de chanter dessus, des paroles souvent écrites au dernier moment (le mec est bouillant quand même vous allez voir de quoi il parle ça rigole pas) : “Oh David ! Viens voir on a trouvé un riff de malade ! (accent marseillais) - Ah ouais OK j’aime bien, lourd frérot… Bon vasy je retourne baiser ma meuf vite fait là je reviens”

Donc voila, en gros, même si Bowie lui-même réfute ces histoires comme quoi il branlait rien niveau composition, ça a l’air d’être plutôt vrai, et ça lui vaudra pas mal de disputes et de séparations, ce qu’il faut retenir c’est qu’entre sa meuf et les soucis de management, son esprit est pas du tout à 100% sur la création de l’album.

Et cet impact à la composition de Mick Ronson et Tony Visconti il est très audible. Les deux premiers albums étaient résolument folk, un peu rock mais tranquillou quoi. Ici, Mick ramène des guitares bien fat et des riffs qu’on peut clairement comparer à ce que font Black Sabbath et Led Zeppelin à l’époque. Ce sera l’album le plus “hard rock” de Bowie, ce qui va notamment plaire aux États-Unis, où le public était pour l’instant resté très frileux à son sujet. En parlant des États-Unis, la sortie américaine de l’album, qui se fera avant la sortie UK (pourquoi je sais pas), présentera une pochette d’album totalement différente. D’ailleurs, il y a de grandes chances que vous ne l’ayez jamais vue, même si vous connaissez assez bien la musique de David Bowie, et ça, ça vaut son petit texte explicatif (en italique bien sûr).

Deux pochettes, deux titres, c’est la confusion.

Le design pochette de base était un peu farfelu avec du recul, mais c’était ce que Bowie voulait. Il fait appel au dessinateur Michael J. Weller pour un dessin cartoonesque représentant un cowboy à la John Wayne tenant un fusil devant un asile psy. Dit comme ça bon, on capte pas trop le rapport. Mais ça fait sens : Bowie va pas mal aborder les thèmes de la folie et de l’internement (son propre demi-frère est interné, le titre All The Madmen en est directement inspiré). Quant à l’aspect cartoonesque et la bulle de dialogue de bande dessinée vide, bah elle devait pas être vide. Bowie voulait y mettre un jeu de mot “roll up your sleeves and show us your arms”, en gros ça peut vouloir dire retirer le disque de sa pochette et poser le bras de la platine dessus, mais aussi remonter ses manches pour se piquer à l’héro, et c’est pas passé visiblement, mais on garde la bulle quand même. Et puis, Bowie se dit que non. il engage un photographe et se fait prendre en photo sur un canap dans le manoir qu’ils occupent avec sa team. C’est la première fois qu’il explore son côté androgyne qu’on lui connait si bien par la suite et qui a contribué à son succès. Bowie, allongé dans une pose de tableau de maître italien de la Renaissance, mèches blondes et robe sur mesure, ça claque. Il va tout faire pour remplacer la pochette dessin, mais le label en a rien à foutre et l’album sortira aux USA avec la pochette originale, ce qui en a fait un produit rare pendant de longues années. En Angleterre, il arrive à proposer la pochette photo, que l’on connait beaucoup mieux. Pareil pour le titre, Bowie voulait appeler l’album “Metrobolist”, en référence au film metropolis et aux sujets dystopiques qu’il aborde dans ses paroles. Mais ça non plus le label veut pas, ni aux states ni en Angleterre. Il faudra attendre la réédition anniversaire des 50 ans de l’album pour voir la pochette originale dessinée et le titre “Metrobolist” pour la première fois réunis. 

Cet album, c’est aussi une prise de parole beaucoup plus sombre pour Bowie. Il y aborde les thèmes de la folie, de la guerre, du sexe, et c’est d’ailleur une collection de titres très homogènes, tant dans la composition que dans les paroles. 

Dès le premier riff de The Width Of A Circle, on comprend qu’on a affaire à un autre délire que les albums précédents. Un morceau épique de 8 minutes en trois parties, où Bowie décrit une sorte d’acte sexuel méga véner entre lui et le diable. Du moins, c’est une des interprétations possibles, Bowie suggère lui-même en interview le fait que les paroles soient libres d’interprétation. Mais bon, il parle de serpent, de venin et de langue gonflée dans la même phrase, je doute qu’il parle réellement d’une situation qui nécessite de l’aspi-venin, si vous voyez ce que je veux dire (#bite). Grosse scène de cul aussi sur She Shook Me Cold, mais n’allez pas croire qu’il ne pense qu’à ça. All The Madmen par exemple, est un morceau très profond sur la folie, mettant en scène un personnage inspiré de son demi-frère Terry, qui refuse de sortir de l’asile, préférant la folie des internés à la folie du monde extérieur. Il fait donc semblant d’être fou pour rester enfermé, c’est donc aussi une façon pour Bowie de revenir sur ce thème de l’isolation et du malaise social qu’il vit, comme il le faisait déjà sur son précédent album. Fun fact, le synthé Moog utilisé dans le morceau a été emprunté à George Harrison des Beatles, j’ai pas plus d’infos mais voilà c’est toujours ça de pris. 

Le titre Running Gun Blues, malgré son riff ultra catchy, est en réalité un morceau très engagé et dur. On est en pleine guerre du Vietnam, Bowie fait certainement référence au massacre de My Lai (je vous laisse lire l’article wikpédia pour les plus courageux, mais en gros en 1968 les soldats américains ont tué, violé et mutilé près de 500 personnes, femmes et enfants compris, dans un petit village au Vietnam, les photos parlent d’elles-même). Il met en scène un soldat complètement taré à la folie meurtrière, qui massacre tout sur son passage, sur une instru blues-rock bien musclée (la chanson a pas le même feeling avant et après avoir vu les photos, ah oui aussi, apparemment personne a été jugé pour ces crimes de guerre, juste un chef qui a pris genre 3 ans en résidence surveillée, vous voyez le délire). Black Country Rock tire lui aussi son instrumentale du blues rock, pendant que le titre After All reste plus sur une valse classique comme on aurait pu voir sur le tout premier album de Bowie. En bon précurseur et amateur de science-fiction, Bowie se permet une projection de l’IA toute-puissante, 50 ans avant sur Saviour Machine. Il y développe l’idée d’une machine qui aurait la capacité de résoudre tous les problèmes de l’humanité mais qui, arrivée à bout de tous, commence à débloquer complètement, l’obligeant à recréer des prpblèmes aux humaines (fléaux, famines, catastrophes) pour réguler l’existence. C’est une façon de dire que l’Homme a besoin de tragédies, de problèmes à régler, de challenges pour évoluer, sans quoi il stagne et se meurt, critique de l’utopie, à un moment où les hippies ont encore pas mal de succès, mais vous commencez à comprendre que Bowie leur pisse un peu au cul (#cantonna). 

Le dernier titre The Supermen est une référence à Nietzsche et à sa théorie du Surhomme, en gros l’idée d’un Homme idéal, au-dessus de l’espèce humaine, qui se démarque par son intelligence et sa puissance. Un Homme tellement au-dessus que l’écart entre lui et le reste de l’humanité est de l’ordre de celui entre l’Homme et le singe (je vous avoue, je vous fait une belle paraphrase de wikipédia, y’a je sais pas combien de pages je comprend rien, j’en resterai là en guise d’explication). Bref, ça souligne cette façon de penser très rationnelle de Bowie, qui ne croit en aucune utopie, mais qui croit fermement en l’Homme et à l’autodétermination, il accepte la difficulté de la vie et ses épreuves, qu’il surmonte. 

Enfin, le titre éponyme, inspiré du roman de Robert Heinlein “The Man who sold the moon”, est un des titres phares du catalogue Bowie. Beaucoup le connaissent car il a été repris par Kurt Cobain sur leur célébrissime live Unplugged en 1994, qui le considérait d’ailleur comme une de ses préférées. Le morceau a également été repris par la chanteuse Lulu en 1974, un des plus gros hits de sa carrière. Le morceau a aussi été repris par Beck et les membres restant de Nirvana lors des Grammy Awards en 2016 en hommage à Bowie quelques mois à peine après sa mort. Vous l’aurez compris, c’est un des ses titres les plus marquants.  C’est un morceau très mystique, la voix de Bowie y est fortement modifiée, et bien que la production soit assez accueillante et good vibes, les paroles semblent tourner autour d’une crise de la personnalité. Comme beaucoup de paroles de Bowie, l’interprétation est libre, certains y voient un épisode schizophrénique entre un homme et son double, quoi qu’il en soit, il s’en dégage une certaine ambiance malaisante et hantée, c’est très spécial.

Comme cet album en général, j’ai envie de vous dire. Moi qui connaissais jusqu’à présent très peu Bowie, je découvre ici un album profondément sombre, où les productions et riffs résolument hard-rock font écho à des thématiques dures, et il s’en dégage un certain sentiment de malaise, où Bowie apparaît comme un personnage hanté et mystérieux, c’est fascinant. C’est pas le truc le plus dansant et fun du monde, ça c’est certain, mais j’aurais pas imaginé que Bowie avait produit ce genre de musique, je le voyais surtout comme un musicien très good vibes et entraînant, je vous invite donc vivement à découvrir cet album.

On est en 1970, Bowie est en pleine remise en question, peu préoccupé par la création de l’album, mais parvient à délivrer une collection de titres tous plus dérangeants les uns que les autres. On est bien loin de la fantaisie, son personnage étrange prend forme. Plus de doute, Bowie est un artiste unique.

Vous pouvez écouter The Man Who Sold The World sur toutes les plateformes : Spotify, Apple Music, Deezer, Amazon Music, Youtube Music, Qobuz.

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