FONTAINES D.C : Derrière le voile de la romance

FONTAINES D.C - Romance / XL Recordings / 2024

C’est un album surprenant que vient de sortir Fontaines D.C. Complètement relookés et accompagnés d’une toute nouvelle direction artistique, on pourrait croire à un tournant radical dans leur musique. C’est nouveau, c’est sûr, mais rien n’est perdu de la plume Fontaines, de leur poésie. Elle prend tout aussi sens ici.

C’est pas évident de parler d’un album que j’ai attendu (moi et BEAUCOUP d’autres) depuis presque six mois maintenant. J’ai tellement écouté les singles, tellement lu d’interviews, réécouté la discographie, j’ai l’impression d’être complètement imprégné de Fontaines D.C depuis quelques mois. Et pourtant, j’ai quand même ressenti cette impression de découverte, de surprise et de fascination à la première écoute de Romance, c’est un bon signe non ? Alors je vais pas faire l’ancien avec vous, je ne suis pas un fan de longue date de Fontaines D.C, j’ai même commencé à les écouter RÉELLEMENT à l’annonce de ce quatrième album. Ça la fout mal comme on dit, mais j’ai bien diggé attention, je me sens en mesure de parler de cette nouvelle sortie en bon connaisseur. C’est d’ailleurs très intéressant de voir tout l’univers qu’ils ont créé avec leur musique depuis 2019.

2019, c’était la sortie de Dogrel, un son nerveux, jeune et terriblement dublinois. S’en est suivi A Hero’s Death et sa musique plus douce et envoûtante, des ballades et une atmosphère imprégnée de poésie. C’est surtout avec leur troisième album Skinty Fia qu’il passe un cap (de notoriété j’entend), un album très léché, où la poésie est à son paroxysme, et un son magnifiquement travaillé, mature. Fontaines étaient restés jusque là ces gars en survet chemise très discrets, à la musique envoûtante et sérieuse.

Ça a donc été une grosse surprise pour les fans de les voir débarquer avec un look et une direction artistique totalement opposés à ce que l’on a pu connaître d’eux jusqu’à présent. Les mecs arrivent sapés comme des fans de Nu-metal des années 2000, cheveux teints en fluo, baggy, t-shirt de metal, la totale. Et puis Starbuster, le premier single, véritable explosion sonore indus, chant quasi rappé de Grian Chatten et clip dévoilant cette nouvelle apparence pour les membres du groupe, il y avait de quoi être réjouis et hypé, soit déçu (pour ma part c’était la hype). Et c’est dans un tout autre contexte que sort ce quatrième album. Le groupe semble avoir fait une table rase du passé, ou du moins créé une bulle de nouveauté pour cet album. Pas facile de renouveler le succès, en particulier après un troisième album qui ouvre le champ des possibles sur la notoriété. Ils se séparent de leur producteur de longue date Dan Carey, fondateur du label Speedy Wunderground et parrain de leur carrière musicale en quelque sorte, pour aller du côté de James Ford, producteur de renom qui a notamment produit les Arctic Monkeys. Changement de label aussi, départ de Partisan Records, où ils partageaient la tête d’affiche avec les Anglais d’Idles, eux aussi en plein boost de notoriété. Arrivée chez XL Recordings, label anglais mythique chez qui on peut notamment citer Radiohead ou  King Krule. 

C’est un beau coup de leur part, autant pour le label que pour le groupe. La côte de popularité de Fontaines ne fait que monter, c’est complètement dingue. Leur titre I Love You tiré de Skinty Fia a pas mal percé sur TikTok, ouvrant leur audience à un public beaucoup plus large sur un créneaux qui n’était pas vraiment le leur jusqu’à présent. Et puis toute cette DA nu-metal / émo est grave “à la mode” chez les plus jeunes en ce moment, c’est sûrement pas calculé de leur part, mais ça tombe bien pour eux. Il n’y avait qu’à voir la fréquentation des disquaires pour la session d’écoute la veille de la sortie, j’ai jamais vu autant de lycéens chez un disquaire (je dis ça comme si j’avais 50 ans et que je parlais avec nostalgie de l’époque K7, mais ça me fait réellement plaisir). Même si attention, il va falloir se calmer sur le cosplay, les lunettes oakley et les vestes fluos etc, restons zen la team. 

Fontaines arrivent donc avec Romance on top of the world, fait rare pour un groupe d’indie, ils touchent de très près un public mainstream qui paraissait jusqu’à présent inatteignable, et puis c’était pas leur but non plus. Grian Chatten, le frontman, est resté poète dans l’âme, très détaché de son succès, selon ses dires, et puis il a aussi sorti un album solo l’année dernière. Il envisage même d’écrire un recueil de poésie. Rien n’a réellement changé dans sa façon de voir la musique, son groupe, et c’est un positionnement partagé par ses bandmates (et amis de longue date). Mais il fallait changer, proposer un truc choc, nouveau, déstabilisant, et c’est réussi.

Romance, c’est cette idée d’avoir un filtre devant nos yeux, pour voir le monde sous un jour meilleur. Choisir de mettre de côté l’horreur du monde moderne, le malheur, pour essayer de profiter de la vie, plus ou moins les effets de la drogue, sans drogue. Un filtre rose, ça colle bien avec la DA visuelle de l’album en plus. Et tout cet album traite de ça, plus ou moins. Faire face au monde avec romance et glamour, avec amour, même si derrière se cache la dure réalité. 

Maybe Romance is a place

Donc avec tout ça en tête, toute cette agitation autour du groupe, toute cette attente, on commence l’écoute. L’introduction Romance fait vraiment introduction, c’est très cinématographique même (ils avaient teasé l’album sur cet extrait, en reprenant la scène de l’ascenseur de Shining). Un premier titre très mystérieux, puis ces grands coups d’orgues comme dans les bandes annonces de blockbuster américains, histoire de vraiment annoncer qu’on entre dans l’album.

S’en suit Starbuster, sûrement LE tube de Fontaines, sur un son industriel, intense et résolument nouveau (inspiré en partie par des crises d’angoisse du chanteur, on entend ses grandes bouffées d’air dans le refrain). Ça sonne “grand”, ça prend de l’espace, et les arrangements de cordes sont présent tout le long de l’album comme ici sur le break. C’est d’ailleurs une des raisons de leur rapprochement avec James Ford, réputé pour une production qui sonne “grand”.

Il y a un vrai sens du tragique sur cet album, du tragique chanté en chœur. Que ce soit avec les guitares distordues de Here’s The thing ou sur Desire, on sent une vraie impulsion lyrique, portée par tout le groupe. In The Modern World est carrément inspiré de Lana Del Rey là où Motorcycle Boy nous renvoie plutôt du côté des Smashing Pumpkins et leur titre Disarm. Le terme pour décrire un des feelings procuré par cet album serait, comme ils le disent, “faded glamour” : un charme qui s’estompe, duquel on voit à travers le voile, mais dont on apprécie tout de même la beauté.

Ils avaient dit que leurs inspirations pour la création de cet album étaient multiples, allant de Korn au manga Akira, et ça s’entend. Ils touchent à quasiment tout ce qu’il n’avaient pour l’instant pas touché. Le titre Sundowner, porté à la voix non pas par Grian mais par le guitariste Conor Curley, les voit explorer la musique shoegaze pleine de fuzz et Death Kink un son plus grunge ultra entraînant (très hâte de la voir jouée live). Le son est beaucoup plus processed, ça s’entend clairement, et on sent une énergie “live”, beaucoup de titres ont été enregistré en full band, parfois même avec les musiciens classiques dans le studio avec eux, fait plutôt rare. La production sonne plus massive, moins soignée dans un sens que sur les précédents albums, plus raw.

Et puis on termine ce périple avec Favourite, qui pour le coup est leur chanson favorite à eux, et à moi aussi. Un titre super nostalgique et positif, tout simplement magnifique. Le clip montre les différents membre du groupe quand ils étaient enfants, il y en a eu du chemin depuis, c’est beau à voir (My childhood was small / But I’m gonna be big !). C’est beau de voir un groupe de pote faire de la musique, rester potes, et kiffer et créer un art qui touche d’autres gens. Finir sur ce titre c’est parfait, on commençait sur une note mystérieuse et sombre, tout l’album nous fait alterner entre ballades et riffs plus nerveux, moments emplis de tragique et de beauté, avant de terminer sur une note fun et pleine d’espoir. C’est parfait.

Fontaines D.C ne perdent rien de ce qui faisait jusqu’à présent leur succès, leur façon d’approcher la musique avec poésie et un coeur ouvert, mais ils le déclinent sur des sonorités qu’ils n’avaient pour l’instant jamais approchées, et ça marche ! Le voile de la Romance devant les yeux, on peut s’attaquer au monde cruel qui nous entoure, histoire de rêver un peu, quelques instants.

Vous pouvez écouter Romance sur toutes les plateformes : Spotify, Apple Music, Deezer, Amazon Music, Youtube Music, Qobuz.

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