Alchemist a-t-il encore réussi ?

ROC MARCIANO & THE ALCHEMIST - The Elephant Man’s Bones / ALC Records / 2022

Alors, Alchemist pour ceux qui connaitraient pas (je fais pas le mec y’a un an je le connaissais à peine) c’est une légende vivante du beatmaking, et du rap en général. Il a commencé dans les années 90 avec Mobb Deep, puis il a produit des mégastars genre Snoop, Nas, Jadakiss, Prodigy, enfin bref il était bien quoi. Et depuis une dizaine d’années, il est retourné dans l’underground pour dénicher et produire des gars un peu moins connus, des potes, et c’est tout simplement énorme. Soyons clairs, il continue aussi de produire pour des gros noms, vous pouvez le retrouver chez Kendrick Lamar comme chez des mecs qui font 10k vues YouTube.

Mais ce qu’il fait surtout, c’est qu’il va chercher un rappeur qu’il apprécie et qu’il va lui produire un album à 100%, donc il aura une part créative ultra importante sur le contenu de l’album, sa couleur musicale et son ambiance générale, et il sait parfaitement s’accorder avec les rappeurs qu’il choisit, donc le résultat est généralement très sympa. Sans oublier le fait que c’est un vrai musicien, qui crée une musique très organique et authentique, ce qui se perd à mon sens de plus en plus avec le beatmaking actuel, un mec avec une éthique en fait quoi (#réac).

Puis c’est un mec de l’école J Dilla, donc il va passer des journées à fouiller dans les bacs à vinyl pour dénicher des trucs introuvables à sampler. Résultat, ça fait 2-3 ans qu’il est sur une suite de réussites assez vénère. Action Bronson, Curren$y, Boldy James, Conway The Machine, Armand Hammer, son cercle de collaborations ne fait que s’élargir, et il continue de nous livrer des albums tous plus intéressants les uns que les autres.

Et aujourd’hui, j’avais envie de vous présenter son dernier album en collaboration avec Roc Marciano : The Elephant Man’s bones.

Roc Marciano aka Rocmarci, c’est un mec de New York qui faisait à la base partie du crew de Busta Rhymes Flipmode Squad dans les années 2000 avant de poursuivre une carrière en indé. Perso, j’avais jamais entendu parler de lui, mais je l’avais entendu en featuring sur un son de Boldy James (produit par … Alchemist) et j’avais bien accroché. Donc quand j’ai vu qu’il sortait un album produit par Alchemist, forcément je suis allé écouter, et je suis pas déçu.

On est d’entrée de jeu plongés dans une expérience très cinématographique, une ambiance noire, style vieux film de gangsters, pas de basse, juste un petit tintement régulier et un déferlement de rimes livrées bien froidement (et c’est pas une critique).

Car oui, ce sera pas fait pour tout le monde. Le style Roc Marciano, c’est quand même plus proche du slam que du rappeur performatif, tout est dans la plume. C’est une esthétique très raffinée qui se dégage de son rap, genre le gangster classe, qui mange dans des bons restaurants et aime les belles choses (et pas des putain de jeans Balmain de merde, par exemple). Il résume l’image que j’ai de lui assez bien avec la phase "I made murder sexy". Et ça colle parfaitement à la production d’Alchemist, toujours très jazzy, très piano, et encore plus poussée sur cet album.

Niveau textes, on a droit à du très égotrip, à un point où c’est juste drôle, genre on dirait une parodie du mec sombre qui veut être stylé :

« The cardiologist can’t hear my heart (whoop) I’m dark »
— Roc Marciano

Il est sympa il précise au cas où on ait pas compris (oui j’ai découvert l’outil citations je vais spammer).

On sent une sorte d’ironie dans ses textes, des phases caricaturale et un égotrip assumé, stylisé, plus subtil et marrant que juste "j’ai des gros calibres et je tire sur ta descendance". Vraiment un rappeur unique, aussi drôle que sérieux. Il va préférer des trucs du style "

« my dookie don’t even stink »
— Roc Marciano

“mon caca pue même pas". Il aurait aussi pu dire "my dookie don’t even sink", autrement dit : "mon caca coule même pas" mais pour le coup ça aurait été juste chelou.

Et Alchemist donne une vraie ambiance à cet album, une ambiance très sombre comme d’habitude, mais avec cet effet encore plus "musique de salon", dans le sens "musique de bar d’hôtel de luxe. Beaucoup de piano, que ce soit sur "Deja Vu" ou sur le titre éponyme "Elephant Man’s Bones" avec ce magnifique sample vocal (que j’ai pas réussi à retrouver sur internet). Si la majeure partie des prods sont dépourvues de 808 et de gros kicks, on a quand même des gros gros bangers avec "Daddy Kane" et sa prod très West Coast ou encore une de mes prods préférées de l’année sur "Zig Zag Zig" (genre ce decrescendo de piano là …). Toujours très inventif, on est toujours surpris d’un son à l’autre, surtout que les transitions sont parfaites, toujours le bon sample de film qui va avec le contexte de la chanson, enfin bref, le boss.

Mais si il faut retenir un son, je pense, c’est Horns Of Abraxas. Je vous pitch le truc : une intro du rappeur Ice-T en mode "laissez-moi vous raconter la fois où j’ai aidé un ami à se débarrasser d’une voiture" puis la prod la plus glaçante de tous les temps. Un roll-off de batterie infini avec une petite touche de 808 pour taper bien fort, puis un orgue sinistre pour donner encore plus de noirceur, un mélange diabolique. Puis à la fin le mec va vérifier ce qu’il y a dans le coffre de la voiture quand même parce que ça sent pas bon et en fait y’a deux corps recouverts de vers dans des sacs plastiques, ambiance.

Bref, vous l’aurez compris, c’est pas n’importe quel album là. On est sur un truc de fin gourmet, un truc qui s’écoute avec Genius à côté pour lire les paroles, apprécier les jeux de mots sur les crottes (y’en a plusieurs).

Alchemist prouve une fois de plus qu’il sait choisir ses partenaires, et qui les comprend parfaitement. Résultat : deux artistes underground fidèles à leur éthique qui se joignent pour nous donner un moment de pur plaisir rap et musique, merci messieurs.

Bonus : je vous ai dit qu’on avait plusieurs phases sur les crottes, et bien la meilleure vient pas de Rocmarci mais d’Action Bronson dans son apparition sur la deuxième piste "Daddy Kane" (à 2min) :

« Should I let it slide ? Or choke you to sleep using the geese sleeve / until you make feces »
— Action Bronson

Je laisse passer ? Ou bien je t’étrangle en te faisant une prise de jiu jitsu jusqu’à ce que tu te fasses caca dessus ?

Moi j’entend ça, déjà je rigole de ouf, mais j’ai surtout l’image d’un tube de dentifrice qu’on écrase et qui gicle partout.

À méditer.

Ecoutez The Elephant Man’s Bones sur toutes les plateformes : Spotify, Apple Music, Deezer, Amazon Music, Youtube Music, Qobuz.

Précédent
Précédent

Jockstrap : string pour mec ou groupe trop cool ?

Suivant
Suivant

Autour de la fourrure.